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Rendez-vous Galerie royale

 Rendez-vous Galeries royales.

     Voilà trois jours qu’il erre dans les jardins du Mont des Arts, tôt, lorsque la lumière sculpte d’un éclat mat la crête des buis.
Il traverse la rue, jette un coup d’œil sur les statues d’Albert  et d’Elisabeth, l’un hiératique sur son cheval, l’autre  bien ancrée dans le sol, de part et d’autre du Boulevard. Le regard fixé sur la flèche de la Grand Place, il amorce la descente vers les Galeries royales Saint-Hubert.
Les pavés inégaux lui donnent la sensation de marcher sur sa propre vie, faite d’aspérités aléatoires et de rondes bosses glissantes. Il ressent brièvement une bouffée de liberté intense, de jeunesse, de joie face à la ville qui s’éveille, aux patrons des cafés fumant une cigarette sur le trottoir, aux livreurs affairés en double file, aux cris insolites des oiseaux picorant les restes des festins de la veille.


     La petite table ronde de la pâtisserie à l’intersection de la Galerie des Princes et de la Galerie du Roi,

Illustration Galerie Royale

sous le halo du vitrage en arcade, l’attend pour son petit déjeuner. La serveuse lui fait un signe, il répond par un hochement de tête. La vie est si simple parfois. Il suffit d’être repéré et tout s’enchaîne à merveille : le café, le croissant aux amandes et le jus de pamplemousse. Elle lui sourit en déposant le plateau sur lequel elle a déposé un Soir magazine.
Trois jours qu’il revient soir et matin, trois jours qu’il refuse d’abandonner la partie.
     Il l’avait rencontrée lors d’un vernissage. Rencontrée n’est pas vraiment le mot exact. Il avait été happé par le regard de cette femme visiblement perdue au milieu d’une foule de mondains devisant sans vraiment se voir, parlant de tout et de rien, glissant d’un petit four à l’autre avec l’élégance de ceux qui traversent la vie sans trop se poser de questions.
Il l’avait repérée entre deux hommes. Il n’avait pas pour habitude d’aborder des inconnues. Mais elle lui avait semblé si familière qu’il s’était dirigé vers elle, l’avait prise par le bras et l’avait attirée à l’écart.
     - Merci … Je m’ennuyais tellement...
    Il l’avait scrutée, persuadé  que le vide qu’il portait en lui pourrait être comblé par l’espace mystérieux du regard de cette jeune femme.
     - Vous partez déjà ?
     -J’ai un rendez-vous, je ne peux pas rester.
     Sa réponse l’avait entrainé dans un tourbillon de battements de cœur, dans une urgence aussi.  
    -J’aimerais vous revoir.
    -Me revoir ? Pourquoi pas ? Galeries de la Reine, à sept heures. Il y a un petit café avec des tables sous la verrière.
     Elle s’était enfuie.
Sept heures… Il avait compris sept heures du soir. Il avait imaginé le rendez-vous pour le lendemain. Et il l’avait attendue en vain avant de s’interroger sur la formule. Et s’il s’était agit de sept heures du matin ? Si le rendez-vous avait été fixé pour le lendemain du vernissage ? Il avait eu un haut le cœur en l’imaginant seule à l’attendre.
Le premier soir, vers 21 heures, alors qu’il se doutait qu’elle n’allait plus venir, un couple s’était assis à la table juste à côté de la sienne. Deux amoureux totalement absents au monde. Il les avait observés discrètement puis, fasciné par la bulle de désir qui tissait autour d’eux une aura magnétique, il les avait regardé s’embrasser, roucouler, les yeux plissés, brillants d’amour.
L’homme avait jeté un billet sur la table et ils s’étaient éloignés vers l’entrée d’un hôtel, collés l’un contre l’autre.
     Le lendemain matin, il était revenu à 7 heures. La fille n’était pas là mais le couple prenait un café. Amoureux, probablement gavés l’un de l’autre.
Il avait eu un pincement au cœur. Un semblant de révolte ou d’envie. Le spectacle de cette entité à deux têtes l’avait énervé. Vers 8h30, il s’était levé, se promettant de revenir le soir. Qui sait ? Son inconnue serait-elle au rendez-vous ?
      Le soir, il crut assister à une représentation théâtrale. Même couple, mêmes regards, mêmes expressions. Pour se donner une contenance, il surveillait sa montre, comptait les minutes. Plus de trois heures qu’il était là à attendre. Cent quatre-vingt-cinq longues minutes à se demander pourquoi il n’avait pas demandé de mieux préciser  les modalités du rendez-vous.
     Le lendemain matin, fidèle au poste, il remarqua enfin un changement dans la dynamique amoureuse du couple. La femme semblait agacée. L’homme un peu nerveux. Son portable avait sonné, il s’était levé d’un bond, s’était éloigné avec, sur le visage, une expression de familiarité, d’intimité qui détonnait avec le regard mouillé de sa compagne.
Le charme était visiblement rompu.
     Il se dit qu’il ne les reverrait plus. Pourtant, le soir, alors qu’il s’était attablé devant une bière brune, il vit le couple s’avancer vers l’hôtel en se chamaillant. L’homme était accablé, la mine coupable ou honteuse. La femme plus triste que fâchée.
     En contemplant ces deux-là, il avait décidé de revenir une dernière fois le lendemain matin, comme un drogué qui décide d’une dernière dose.

 


     Après trois jours de rêverie amoureuse, il est maintenant assis, seul, face à son croissant, incapable d’avaler une bouchée. Pourquoi lui a-t-elle donné rendez-vous ? Pourquoi n’est-elle pas venue ? A-t-il manqué le premier matin ? Les interrogations tournent dans sa tête comme des insectes piégés dans une boîte. Il a mal au crâne à force de tenter de résoudre une énigme : pourquoi s’est-il entiché à ce point d’une femme à peine entrevue ?
     - Un café s’il vous plaît, un ristretto, bien fort…
     Il est tellement absorbé dans ses pensées qu’il n’a d’abord pas remarqué la femme assise à la table à côté de lui. Seule, nerveuse, elle avale son café, paie et s’enfuit.
Sur la table, une clef avec un numéro et le nom de l’hôtel. Il saisit le morceau de métal froid. Il pourrait laisser la clef sur la table, partir et ne plus penser à ces rendez-vous manqués mais, ses pas l’entraînent vers l’hôtel. Chambre 18 … Il tâtonne dans les couloirs, cherche la porte, introduit la clef et entre.
     Il ne voit d’abord que le désordre. Les draps sur le sol, la valise éventrée, un portable disloqué, un oreiller près de la fenêtre. Dans l’obscurité de la chambre, le corps de l’homme, étendu sur le dos forme une masse étrange. Son visage est livide, il a les yeux grands ouverts. Son torse, nu, est zébré de sang.  Il a été frappé au cœur ou pas très loin de l’organe vital. L’éclat métallique du manche du couteau figé dans la chair répond à l’alliance qu’il  porte à l’annulaire.
9 heures. Encore une journée perdue. Et ce corps inerte face à lui, immobile comme sa vie.
Il est épuisé par ces rendez-vous manqués. Ces trois jours sans sommeil, ces attentes vaines, l’ont plongé dans une absence totale de sensations. Il saisit le couteau, le tire d’un coup sec et s’assied au bord du lit, comme un mari jaloux ayant surpris l’amant de sa femme.
La confusion, l’interrogatoire, le quiproquo le retiendront au commissariat, l’empêcheront de revenir  et d’espérer encore et toujours.
    Il compose un numéro d’urgence et, lorsque des pas précipités le tirent de sa torpeur, il accueille la police d’un sourire délivré.